Ce soir là, Gabriel s’était demandé s’il avait pris sa veste pour aller au cinéma.
Il ne s’en souvenait pas.
En tout cas, il n’en avait pas.

Il avait essayé de se remémorer la scène en partant de chez lui : il se voyait fermer la fenêtre, prendre ses clés sur la table et il se demanda s’il ne portait pas déjà sa veste à ce moment là.
Il ne s’en souvenait pas.
Il se demanda aussi où il avait mis sa veste la dernière fois qu’il était rentré chez lui.
Peut être sur sa chaise de bureau ; peut être sur une chaise dans la cuisine. Peut être par terre ou encore sur le lit comme ça lui arrivait parfois.
Il se dit qu’il aurait très bien pu l’avoir oubliée dans le métro. Mais pour ça, il aurait eu fallu qu’il eût chaud et qu’il veuille la retirer. Ce mois de mars ne l’aidait pas.
Il se demanda s’il avait mis sa veste hier mais il n’en était plus sûr. Qu’avait il fait hier ?
Il se frappa violemment les poches pour s’assurer qu’il n’avait pas oublié ni ses clés, ni son téléphone. Leur présence le rassura.

Il se rappela que quand il était au collège il portait des bracelets et qu’en arrivant au lycée il avait décidé de s’en séparer. Les jours qui avaient suivis lui avaient donné de drôles de sensations. Où qu’il aille, il sentait qu’il lui manquait quelque chose et des pincements au cœur le prenaient tout au long de la journée comme des piqûres de rappel de son insécurité.

Le temps avait passé et il avait fini par s’habituer à leur absence et ça l’avait rendu triste ; triste et nostalgique d’une période disparue.

Il avait eu son bac et était allé à Paris pour faire des études de cuisine. Quitter sa Bretagne avait été une vraie douleur. Il avait du laisser sa famille, ses amis et sa copine. Ils avaient essayé de garder contact mais la distance avait fini par assécher leurs échanges et par les séparer.
Au bout de 3 ans, il ne rappelait plus aucun de ses amis de lycée quand il rentrait voir ses parents.

Le temps avait fait son œuvre : il avait rencontré de nouvelles personnes ; avait voyagé à Londres, Barcelone, Berlin, Rome, Dublin ; avait fait la fête jusqu’à l’amnésie ; avait eu des copines de passage qu’il avait oubliées ; des copines importantes qui s’étaient brouillées, emmêlées, mélangées dans les histoires. Ces mêmes histoires qu’il racontait et qui avaient finies par se figer au fil des années. Ces histoires qui resteraient ses histoires : des souvenirs choisis et le reste à l’oubli.

Lui aussi.

Depuis ses 20 ans, il avait vécu dans cinq endroits différents. Les offres de prestigieux restaurants l’avaient amené à être un itinérant. Il avait bossé des horaires de titan et ses parents étaient morts silencieusement.
Il n’avait pas d’enfant.  
Aujourd’hui, il avait 52 ans et un appartement.

Il faisait partie de ces gens qui roulent vers l’océan sans jamais s’être retourné, sans jamais avoir pensé à se rappeler de ce qui s’est passé. Il faisait partie de ces gens de l’instant.

Ce soir là, Gabriel s’était demandé s’il avait pris sa veste pour aller au cinéma.
Il ne s’en souvenait pas.

Et pourtant, un instant, il s’était rappelé de sa Bretagne, de ses parents ; de ceux qu’il avait aimés et qu’il avait oubliés ; de ceux qui l’avaient aimé et qui l’avaient oublié.

Ce soir là, Gabriel s’était demandé s’il avait pris sa veste pour aller au cinéma.
Il ne s’en souvenait pas.
Il fit un geste pour chasser ces idées ; ça n’était pas si grave que ça.