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Twerker à Dodoma, Clément Aadli
Installé avec deux amis en terrasse d’un salon de thé de Tabora, nous nous repaissons ensemble de notre désœuvrement. Nous fumons des miettes de tabac sec en nous racontant des rêves.
Jimmy raconte un rêve. Il y est question d’un crocodile. Jimmy décrit un décor qui ressemble à celui d’une grande ville mais qui n’est aucune des grandes villes qu’il connaît ou peut-être un mélange de toutes. Il est assis au bord d’une sorte de lac rectangulaire, en pleine ville. Il se souvient avoir l’habitude de marcher sur l’eau mais cette fois il marche au bord du lac. En se promenant, il se fait agripper la jambe par un crocodile. Il a le temps d’empoigner un muret pour ne pas se faire emporter dans le lac et dévorer. Le crocodile tire sa jambe et lui s’accroche au muret. Étrangement, la lutte est plutôt égale. Le crocodile n’arrive pas à faire lâcher Jimmy ni Jimmy à s’extraire de ses crocs. Il n’a pas mal. Il crie à l’aide à des gens en face et, pour une raison qu’il ne comprend pas, le crocodile lâche sa jambe. Il en profite pour monter sur le muret et saute de joie et de rage d’avoir vaincu. Il ne l’a pas remarqué mais le crocodile a lui aussi grimpé sur le muret et sa gueule énorme s’abat sur Jimmy sans qu’il ait le temps de réagir.
Le rêve s’achève ainsi et il n’y a pas grand-chose à en dire. Quand nous sommes tous les trois, nous ne commentons jamais nos rêves.
Le rice and beans avalé un peu plus tôt a un effet paradoxal sur notre système digestif qui se traduit par une lutte à somme nulle entre colon ascendant et colon descendant. La conséquence de ce chaos domestique est que nous sommes momentanément condamnés à nous maintenir en position assise. Nous exhibons chacun les objets que nous nous sommes procurés la veille dans une gare, en attendant un bus qui n’arriva pas ou qui si arriva, mais sous la forme d’un autre bus, probablement semblable au premier, mais qui n’était pas lui puisque le premier avait – si l’on veut bien croire les employés de la compagnie Adventure –, été braqué à l’arme lourde un peu plus tôt dans la soirée.
J’ai acheté une canne-épée, objet important dans ma mythologie personnelle et que j’ai toujours rêvé de posséder. Elle a le pommeau recourbé et des lamelles d’argent dessinent dans le bois creusé des formes abstraites ou que je ne sais déchiffrer. J’ai acheté une montre en ferraille laquée or, flamboyante. Le bracelet est trop grand. Elle est affreuse, et me donne l’air bête. Je l’aime beaucoup.
Pour Ludovic, ce fut petit poignard lourd dans fourreau d’ébène, chemise rouge qui tape sur les nerfs et lunettes de soleil qui font perdre la vue. Jimmy s’est contenté d’un petit chapeau blanc orné de motifs religieux. Chacun à notre tour, nous nous grimons et nous esclaffons sans parvenir à déterminer lequel de nous trois est le plus laid. Quelques grains de riz mal digérés passent d’une bouche à l’autre, suivant des itinéraires audacieux.
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Puis nous nous racontons d’autres rêves. Je raconte un rêve. Il y est encore question de crocodiles, c’est pour cela que je le raconte. Je suis dans un pays que je ne connais pas. Je descends d’un train. J’arrive, avec d’autres voyageurs, dans le jardin d’une auberge à la campagne. Nous discutons un moment avec la propriétaire puis, en tournant la tête, je réalise que nous sommes entourés, vingt mètres plus loin, par une armée de crocodiles. Tout le monde commence à paniquer mais la propriétaire nous rassure en nous disant que pour les faire fuir il suffit de foncer droit sur eux. Nous le faisons et cela fonctionne. Ensuite viennent d’autres animaux plus ou moins effrayants, plus ou moins imaginaires et nous reproduisons le même geste. Le rêve se transforme en un grand ballet d’hommes et d’animaux courant les uns après les autres, une sorte d’étrange danse édénique, désordonnée et pourtant harmonieuse.
Le rêve s’achève ainsi et nous nous étonnons d’avoir tous deux un rêve de crocodile à raconter. Nous ne le commentons pas plus que celui de Jimmy mais une autre conversation s’enclenche. Une conversation sur la danse, un souvenir récent de danse, un souvenir de twerk. À tour de rôle nous échangeons nos réflexions sur le sens de la vie et sur celui du twerk. Le twerk, depuis quelques jours était, pour nous, devenu un synonyme de vie même si peut-être qu’au fond, à ce moment précis, le twerk paraissait pouvoir offrir plus d’espoir que la vie toute entière. D’une certaine manière, le twerk semblait contenir la vie et un peu plus que la vie. A nos yeux désormais, toute personne épargnée par les problèmes de dos était un twerkeur qui s’ignorait, le détenteur potentiel d’un pouvoir fédérateur. Mais pour bien comprendre l’origine de cette lubie qui dégénéra en obsession, il faut revenir sur des événements qui eurent lieu deux jours plus tôt, à Dodoma.
C’était une soirée longue qui peut-être avait commencé il y a déjà bien longtemps et qui nous donna l’impression de ne jamais vraiment se terminer. Nous étions très excités comme souvent depuis notre arrivée en Tanzanie. L’euphorie de se trouver ailleurs. Ce soir là, nous marchions au hasard, et par moments nous poussions des cris. Cela nous arrivait.
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Notre errance nous a mené dans une une gargote surmontée d’un toit en tôle ondulée, entièrement ouverte sur la rue. Depuis nos chaises nous pouvions voir les gens passer, s’imaginer les raisons qui les poussaient à se déplacer, alimenter en nous le fantasme de la vie des autres, quelle qu’elle soit. Nous avions vue, aussi, sur quelques fenêtres d’immeuble légèrement éclairées. J’avais envie d’écrire des poèmes que je n’aurais pas écrit autre part, des bons poèmes, des bons poèmes de merde.
Et puis, sans vraiment savoir comment, nous avons été saouls. Comme si le destin avait décidé à notre place ce qui était le mieux pour nous, nous nous sommes retrouvés en train de nous enfiler des fioles de Gin en picorant des grillades plus cuites que nous commencions à l’être.
Jimmy prétendait dissimuler sa soif en m’accusant, moi, de boire trop mais dans le fond le plus allumé d’entre nous était probablement Ludovic. Mais c’était bel et bien Jimmy qui nous resservait presque de force, faisait des allers-retours incessants au bar. Il en revenait de plus en plus hagard, se montrait étrangement tactile avec les bouteilles de Gordon et pour tout dire délirait au point de tenter de leur parler en kiswahili. Qui sait ce qu’il pouvait bien leur dire ? En le voyant faire, sur le moment j’eus envie de lui dire « Kweli ??? »1 mais je ne le fis pas car à l’époque je n’avais pas encore appris ce mot.
Si j’étais complotiste, je dirais que Jimmy avait un plan pour nous mais puisque je suis simplement superstitieux, je me contenterais d’insinuer que quelqu’un d’autre avait un plan pour Jimmy, et en vérité pour nous tous. Mais cela n’a pas d’importance. Ce qui en a un peu plus c’est que nous ne pûmes pas commander de nouvelles grillades car un type décida ou non de foutre le feu au baril d’essence qui servait de barbecue. Le fait est que le contenu du grill flamba tout entier et qu’il nous fallut nous nourrir de la maigre consolation que nous étions déjà suffisamment gras. Quelques vaches isolées qui passaient par ce coin de la ville jetèrent sur la scène des regards de vache, mais des regards que je ne pus m’empêcher d’interpréter comme pleins d’un sentiment de revanche.
Ce qui a plus d’importance encore c’est la soirée que nous passâmes ensuite et qui scella un lien d’allégeance réciproque entre une danse, le twerk, et trois jeunes hommes encore à l’état d’ébauches, nous.
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Le déroulé des événements reste flou. À un moment, un londonien est venu nous rejoindre/ s’incruster à notre table. Dans mes souvenirs il s’appelait « Cunt ! » avec un point d’exclamation mais je vois bien en quoi cela est peu probable. Il prononçait souvent ce mot. Il a beaucoup parlé. Il a parlé d’une marche qu’il avait fait dans les montagnes Uluguru et d’un homme qu’il avait vu ratiboiser un pan de forêt à la machette pour attraper un serpent venimeux. Il a parlé de ses relations dans les plus hautes sphères de l’Église adventiste du septième jour. Notre placidité n’entama pas sa fierté. Il a parlé d’une compétition de motocross qui se déroulait demain en périphérie de Dodoma, à laquelle participait son épouse, et d’une moto qu’il pouvait nous vendre si nous le désirions. Mais nous ne le désirions pas. Je ne comprenais pas bien tout ce qu’il disait ni pourquoi il le disait. Et tandis que Ludo et moi faisions un effort pour feindre d’écouter le gros baluchon de conneries qu’il avait à déballer, Jimmy avait cessé d’essayer de faire bonne figure et, par la même occasion de diluer son alcool dans le Tonic. Cunt !, ce cafard format poche, s’était lancé dans un exposé sur l’état de la corruption à Zanzibar qui aurait dû nous intéresser. Mais à cet instant nous n’étions plus capables de nous concentrer. C’est pourquoi Ludovic proposa que nous nous déplacions vers un lieu où nous n’aurions pas à nous parler, du moins pas à nous écouter. La nuit était tombée depuis peu mais nous nous sommes dirigés vers un club que l’on nous avait présenté comme chaleureux. Cunt !, que, par amitié pour lui, j’appellerai Cédric n’hésita pas une seconde à nous suivre et il me semble bien que pour le récompenser l’un d’entre nous tenta de l’embrasser dans le cou.
La boîte était déjà pleine à notre arrivée et j’aime à croire que nous l’avons remplie encore un peu plus. Sans avoir besoin de nous concerter, nous avons foncé comme un seul homme vers le bar. Nous y attendaient trois petites poches de plastique remplies d’un liquide transparent. Le serveur en versa le contenu dans des verres et nous annonça qu’il s’agissait de Konyagi, un alcool de canne dont il nous dît le plus grand bien. Nous avons bu en sautillant sur place car c’était la seule manière de faire descendre cet alcool immonde.
Peu au fait des habitudes locales concernant la danse, nous nous sommes lancés d’abord timidement sur la piste. Ludo faisait des vagues avec ses bras. Jimmy se remémorait des pas de la macarena. Quant à moi je balbutiais un twist sans doute peu approprié mais qui me paraissait alors être le seule danse à même de me donner une contenance.
Je ne sais pas quel est le statut du twerk en Tanzanie mais ici, à Dodoma, et en ce temps, il fut très vite clair qu’aucune autre danse n’avait voix au chapitre. Malgré nos danses maladroites, des femmes et des hommes nous ont approchés. Des mains se sont posées sur nos reins, ont fait chalouper nos bassins un peu raides. Des corps en sueur se sont collés aux nôtres.
Je ne me souviens plus clairement à quoi ressemblaient les individus avec qui Ludovic et moi dansions tant bien que mal. Il faisait sombre et je regardais souvent le plafond pour tenter de perdre la conscience de mes mouvements. La femme qui agrippa Jimmy par la taille était, en revanche, tout à fait mémorable :elle portait un ensemble salopette-bob en jean que l’on croyait disparu depuis longtemps. Quant à Cunt !, qui était censé être marié, il s’enticha d’une dame forte en goitre qu’il prétendait être une très vieille amie croisée là par hasard. Les masques tombèrent vite lorsqu’il se retrouva chevauché dans un canapé de velours bleu et qu’il se mit à couiner comme un veau qu’on chatouille. Mais qui a déjà chatouillé un veau ? À vrai dire ses mensonges nous importaient peu. Nous commencions tous trois à nous laisser posséder par le sort que le twerk nous avait lancé. Les premiers frétillements de fesses contre nos bas-ventre nous mirent mal à l’aise car aucun de nous n’avait l’habitude d’une danse si évidemment sexuelle. Il est difficile dans ces cas-là de savoir quoi faire de ses bras et de son bassin sans avoir l’air d’agir avec inconvenance. Le mauvais geste n’est jamais loin.
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Personnellement, le twerk me prit par surprise. J’avais fermé les yeux quelques secondes dans le but d’évacuer mon embarras. Quand je les rouvris, l’homme qui était censé être collé, de dos, à mon corps, s’était évaporé. Du moins c’est ce que je crus en premier lieu. En vérité, seule la partie supérieure de son corps avait disparu et encore, pas vraiment. Je sentais mon sexe s’agiter en un léger mouvement de pendule. Lorsque me vint la clairvoyance de baisser les yeux, je découvris dans une robe rouge moulante deux amas de chair parfaitement ronde en train s’échiner contre mon bassin. Croupe levée et remuante, tête en bas, il tordit le cou pour me lancer un regard fiévreux mais serein, m’invitant à abandonner ma tiédeur. C’est à ce moment, je crois, que je compris l’essence du twerk et que j’en acceptai l’inéluctabilité. En me tournant vers mes amis, je vis qu’ils avaient atteint le même état de conscience, qu’eux aussi avaient décidé d’embrasser le twerk dans toute sa complexité. Je ne connais pas le nom de la musique qui passait alors mais le nom de Kofi Annan était répété à plusieurs reprises dans le refrain.
D’autres personnes sont venues se frotter à moi et le bob de la femme en salopette est passé de crâne en crâne. En la regardant danser sans retenue ni arrières pensées, avec en permanence aux lèvres un sourire exprimant une pure jouissance, je me suis dit que cette femme aurait facilement pu devenir notre meilleure amie.
Il y eut ensuite une sorte de chenille qui se transforma vite en ronde où une trentaine de personnes dont nous faisions partie se tenaient par les hanches et remuaient la tête de droite à gauche en reprenant des chants riches en voyelles. Notre pudeur était tombée.
Les chants se sont transformés en cris. Quelqu’un lançait un cri et tous le reprenaient en chœur.
Je ne sais plus qui lança le premier cri, peut-être que c’était seulement l’un des lointains couinements de Cunt !, mais il fut repris en chœur. D’autres cris ont suivi. Quelqu’un a hululé et tout le monde a hululé. Quelqu’un a bêlé et tout le monde a bêlé. Et il est possible que dans cet instant de communion, un grand canon de cris ait pris forme et qu’aux brames aient répondu les rugissements, qu’aux « rourourour » aient répondu les « ahou ahou ahou ». J’aurais aimé que cet admirable bestiaire sonore jamais ne s’arrête. Et pendant tout ce temps, irrémédiablement, nos corps se rapprochaient du sol. À un moment, perdant la mesure de son twerk, Ludovic, glissa et se retrouva la joue contre le sol poisseux. Il ne se démonta pas et entreprit ce qui peut-être s’appelle une vague mais qui ressemblait plus aux frétillements d’une otarie. Personne ne le moqua. Beaucoup l’encouragèrent en sifflant avec leurs doigts.
Aux alentours des deux heures du matin la fièvre avait gangrené irrémédiablement toute la salle et quelques types de mon genre, du genre de Jimmy et de celui de Ludo commençaient à entrer dans des états électriques proches de la transe. Nous secouions frénétiquement nos couennes sans plus aucun soucis de coordination. Les mouvements de hanches devenaient épileptiques. Nous avons twerké longtemps et peut-être même qu’à un moment nous nous émancipâmes des gestes les plus traditionnels pour donner à nos chorégraphies un souffle plus personnel. Nous atteignîmes cet instant unique dans la vie d’un homme, cet hapax existentiel que chacun recherche qu’il en ait conscience ou non : le moment où grâce et graisse ne font plus qu’un, où elles s’enchevêtrent puis fusionnent, se changeant l’une en l’autre. Et lorsque la danse touche à son terme et que la bulle éclate, l’homme demeure hébété, dépouillé des repères qui jalonnaient autrefois ses certitudes sémantiques.
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Nous fûmes parmi les plus turbulents lorsque sur l’estrade s’initia une démonstration de twerk pour avertis dont l’attraction principale était notre sœurette en salopette. Elle parvint à plier son corps ramassé dans des positions si inattendues, tout en le maintenant en mouvement, que la salle explosa. De l’argent se mit à pleuvoir en sa direction, projeté à l’horizontale depuis la piste jusqu’au podium avec la vitesse d’une trieuse de billets. La musique se faisait de plus en plus saccadée, les rythmes de plus en plus obsédants. De toutes parts, des bonds frénétiques, des piétinements acharnés accompagnèrent sa performance. D’autres cris furent poussés. La salle entière n’était plus qu’un grand boucan extatique.
Nous avons gigoté convulsivement. Il fallait trouver des moyens nouveaux de libérer l’excitation démoniaque qui nous avait envahie.
Puis, un peu plus tard, sans que nous n’en ayons vraiment conscience, les rôles s’inversèrent et nous nous trouvâmes dans la position du twerkeur twerké. À un moment, et ce fut, à bien des égards, l’apothéose de cette nuit intemporelle, nous nous retrouvâmes tous les trois les paumes plaquées au sol, les genoux pliés et la lune offerte au ciel en train de secouer nos chairs avec une aisance dont seul un miracle avait pu nous rendre capables. Je ne m’en rendis pas compte immédiatement, le front baissé vers le plancher, concentré sur un roulement de fesses dont je commençais à être satisfait. En relevant la tête, je réalisai que Ludovic et Jimmy me faisaient face, exactement dans la même position, le même état de sueur, aux lèvres le même sourire béat et eux-aussi recevant de sévères claques sur la croupe.
Ensuite nous nous sommes séparés, comme s’il fallait que chacun donne aussi à sa nuit une saveur intime au risque de finir par nous atroupler. Alors que je dansais seul dans un recoin obscur, ne pensant déjà plus à rien, travaillant mon déhanché en me servant d’un tube de tuyauterie comme d’une barre de pole, je sentis plusieurs paires de mains passer sous mes aisselles pour caresser mon torse. Lorsque je me retournai, une demi-douzaine (un millier peut-être) de langues inconnus se mirent à me repeindre la ganache. Des femmes et des hommes que je n’avais jamais vus me léchèrent le visage à tour de rôle. Ma sale gueule encore blême du cafard londonien dont j’étais sorti peu avant se coloria soudain d’aplats de bave parfaitement distincts dans la luminescence nocturne. Ils représentaient chacun un territoire précis. Sous l’effet du Konyagi, mon odorat était décuplé et je pus presque deviner les derniers repas de chacun de mes tendres bourreaux. Une alimentation riche en volaille et haricots rouges.
Vers quatre heures du matin, et la soirée n’aurait pas pu se terminer de meilleure façon, Jimmy perdit un morceau de dent. Il avait disparu depuis un moment quand je suis tombé sur lui par hasard. C’est-à-dire que j’ai littéralement trébuché sur Jimmy qui se trouvait allongé par terre dans le fumoir. Nous nous sommes relevés tous les deux et il m’annonça la nouvelle. Il m’expliqua qu’il était en train de fouiller sous le billard pour voir si son demi-croc ne s’y était pas fait la malle. Comme, à cette époque, Jimmy portait longues ses canines, j’ai d’abord cru que c’était l’une d’elles qu’il avait perdu. Mais c’était une incisive qui avait trinqué pour que Jimmy puisse trinquer. Un goulot de bouteille avait fait le coup. À cet instant j’ai pensé que le trou lui allait bien. Nous avons commandé une dernière bière même si nous imaginions bien que les conséquences de cette décision ne pouvaient plus nous être favorables.
Quand nous sommes retournés dans la salle principale, Ludovic avait adopté la technique du poulpe et s’était glué intégralement à un grand tanzanien en complet rose. Il me sembla qu’il avait plusieurs paires de bras. Peut-être s’était-il enfin décidé à les laisser pousser. Nous avons retrouvé Cunt ! endormi dans un coin en bas de l’estrade, l’avons embrassé sur le front puis sommes partis en courant, laissant derrière nous des onomatopées tonitruantes.