Bancal sonnet d’hiver pour chiens hurleurs

Dix verres avalées, une sale allée, sombre, un trottoir

Libèrent des élans autrefois soupirés.

Puis dix vers burinés, surinés dans l’ombre d’un comptoir

Si vert : mélange d’absinthe et de bière cirée.

Divers escamoteurs s’y saluent vaguement

Misère des nuits grises, familières virées.

Diserts, ils dégulitissent entre deux jappement,

Diggèrent un plat lourd et peinent à respirer.

Lisière de misère et de foisonnement

Rivières de boissons pauvres et de riches diamants

Sidèrent ces sicaires, par l’étrange attirés,

Chimères lamentables des lugubres bourbiers

D’hivers, où s’entassent les âmes déchirées

Prière de déplier leurs carcasses courbés.

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Divers hivers.

Divers hivers, ils se répètent en dix vers, peut-être plus. Lui, se repère dans un verre, puis dix, en attendant que ça reverdisse.

Cet hivers 2008, cette nuit là, Toni allait mettre fin à ses jours.
Cette nuit, quand sa femme serait endormie, il se lèverait sans bruit, se dirigerait dans la salle de bain, avalerait une boîte de somnifères et irait s’assoir dans son jardin. Le froid le tuerait lentement, il ne souffrirait pas. Il s’endormirait tranquillement, il ne se réveillerait pas.

Il était le troisième d’une famille de quatre garçons. Son père, ouvrier, avait travaillé dans le nord du Missouri et avait subvenu aux besoins du foyer.
Toni avait été un bon élève plein d’ambition. Son rêve était de réussir dans la finance et de participer activement au développement des Etats-Unis. Le rêve américain était le sien. Son père, en travaillant des heures supplémentaires, avait pu offrir, à lui et ses frères, une vie confortable.
Ce qu’il avait fait à la sueur de son front, lui le ferait sans effort et doublerait voire triplerait probablement le salaire.

A la maison, ses deux grands frères étaient en constante compétition et causaient le peu de souci que leurs parents avaient. Son petit frère Dan était un vrai clown et était aimé de tous.
Toni, lui, avait pris une place à la fois confortable et modérée. Il était silencieux et participait peu aux jeux de la famille. Il se contentait de sourire et de bien travailler à l’école. Il n’avait jamais réussi à tisser de lien réel avec aucun de ses frères.
La personne qu’il aimait le plus dans la famille était sa mère : petite femme douce et distante que la maladie avait emportée à la cinquantaine. A cette époque, il allait sur ses dix-sept ans et cet évènement l’éloigna presque définitivement de sa famille. Cependant, il ne la pleura pas. C’est comme si un mur s’était construit autour de lui. Un mur froid ; un mur de rancœur envers son père et ses frères. Le peu d’amour qu’il avait reçu venait de mourir dans le silence d’une famille trop pudique pour exprimer sa tristesse et tout à coup, il s’était senti très seul et abandonné.

Son père avait engagé une aide ménagère et tout dans la maison avait continué à fonctionner comme avant. Toni avait entamé sa dernière année de lycée et travaillait d’arrache pied ; sa colère serait le moteur de sa réussite et il deviendrait riche.
Il était allé au bal de fin d’année avec Anna qu’il connaissait depuis toujours et qui l’avait bousculé par sa beauté. Jamais il ne l’avait envisagé autrement que comme une amie d’enfance. Pourtant, à la fin de la nuit, après l’avoir raccompagné en voiture, elle l’embrassa.
Il avait été reçu à Northwestern dans l’Illinois et il lui promit de revenir la voir le plus souvent possible.
Ce qu’il fît. Les années suivantes se partagèrent entre l’université et les retours incessants à Saint Louis. Il revenait au moins deux fois par mois. Cela lui était égal. A présent, il pouvait mettre en place les pions de sa vie, de sa réussite et il était pressé de se marier ; de tourner la page sur une famille dans laquelle il ne s’était jamais senti vraiment intégré.
Plus il approchait de son but et plus les épreuves lui étaient pénibles. Comme si chaque jour qui le rapprochait de son diplôme l’éloignait un peu plus de sa mère. Sa colère se transformait petit à petit en mélancolie et son désir d’avancer, qui avait été si fort pendant si longtemps, se faisait moindre. Il avait pris l’habitude, quand ces coups de moins bien lui arrivaient, d’aller boire des coups très tard à s’endormir sur le comptoir.
Le lendemain, il était d’attaque et enchainait sans problème ses heures de cours et un travail personnel assidu qui se prolongeait dans la nuit.

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Toni fut reçu avec les honneurs et trouva un travail dans une grosse banque du Midwest. Il se maria avec Anna et acheta une maison dans une banlieue chic du sud de Saint Louis. Dans ce bel environnement, ils eurent deux enfants, une fille et un garçon.
Les années passèrent dans un bonheur qui semblait presque irréel à Toni. Tout avait fonctionné à merveille pour lui.
Pourtant, chaque hiver, à l’anniversaire de la mort de sa mère, une vague le ramenait à sa mélancolie et chaque année cette mélancolie se transformait un peu plus en tristesse du cœur. Tristesse qui finit par l’envahir à la quarantaine. Une lente descente qu’il aurait imaginée comme la période la plus paisible de sa vie ; lui qui s’était tellement battu, qui avait tout fait pour sa famille, qui avait reçu maintes promotions ; il se retrouvait las et bloqué dans une idéologie qui ne tenait plus la route. Il aurait fallu qu’à quarante ans, il fut le plus heureux des hommes. Rien n’en était.

Divers hivers, ils se répètent en dix vers, peut-être plus. Lui, se repère dans un verre, puis dix, en attendant que ça reverdisse.

Cet hiver 2008, cette nuit là, Toni allait mettre fin à ses jours.
Cette nuit, quand sa femme serait endormie, il se lèverait sans bruit, se dirigerait dans la salle de bain, avalerait une boîte de somnifères et irait s’assoir dans son jardin. Le froid le tuerait lentement, il ne souffrirait pas. Il s’endormirait tranquillement, il ne se réveillerait pas.
Il s’était trompé. Il s’était trahi en trahissant sa mère. Il n’avait pas pris le temps de la pleurer et la vie s’en était chargé pour lui. Toutes ces années, elle lui avait rajouté un peu plus de tristesse chaque fois qu’il reniait ses travers. Et aujourd’hui, c’était trop tard, un gouffre se présentait devant lui.
Il se dirigea dans la salle de bain, prit la boîte de somnifères, descendit dans la cuisine, se servit un grand verre de whisky puis avala les cachets un par un ; autant de cachets que de gorgées de whisky.
Il mit son manteau et fît glisser la porte fenêtre lentement et sans bruit. Il la referma de la même façon et s’assit sur une chaise de jardin. Les hivers dans le Midwest descendent facilement dans les moins quinze degrés. Il repensa à ses frères et à son père. Il se dit qu’il aurait peut être du aller à son enterrement. Il se demanda si ses frères viendraient au sien. Il s’endormi.

Cet  hiver 2008, cette nuit là, Toni avait essayé de mettre fin à ses jours.
Sa femme s’était réveillée dans la nuit, l’avait cherché, avait réveillé les enfants. Sarah l’avait trouvé dehors et les secours étaient venus.
Toni s’était réveillé, avait eu une période de convalescence et était retourné travailler.