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Insomnies indiennes

Mauvais rêve où, dans le métro de Paris, des dizaines de télés retransmettent les mouvements des usagers. Certains plans sont presque artistiques. On voit des ralentis sur des torsions de chevilles, sur des levers de talons. Je suis abasourdi par les nouvelles orientations prises par la RATP. Au bout d’un moment, un compte à rebours se lance sur les écrans, entrecoupé de plans fixes sur des visages et d’images de militaires prêts à faire feu. Quand tombe le zéro, une trappe s’ouvre et en sortent des militaires qui canardent des usagers sans viser. Ils tirent de partout à l’automatique et je réalise que tout est retransmis sur les écrans. Des grilles tombent une par une sur les sorties des quais, piégeant les plus lents. J’arrive à me faufiler dans un couloir. Je tombe sur un escalator bloqué par des panneaux de travaux. Et heureusement car d’en haut on me tire dessus et la ferraille me sert de protection. L’homme qui me tire dessus, je ne sais comment je l’apprends, est le nouveau shérif. Il est gros, a une moustache blanche, des cheveux filasse et un sourire américain. Quelqu’un dit son nom ou alors il est affiché quelque part. Je ne m’en souviens pas mais il se pourrait que ce soit Fabrice. Je fais le mort pour qu’il ne m’achève pas mais il ne se soucie en fait plus de moi. Il donne à la télévision une justification à tout ce carnage mais je ne la comprends pas bien, quelque chose en rapport avec la surpopulation peut-être. A un moment je crois qu’il est question d’une bagarre avec des chiens.

Je me réveille roulé en boule à l’autre bout du lit, un bras plié qui gratte le dessous du sommier.

Défoncé dans une chambre d’hôtel de Goa, à Palolem, complètement high à toutes sortes de médicaments dont je ne suis pas certain qu’ils se mélangent. Il m’était arrivé un truc du genre dans le nord du Paraguay ou de l’Argentine, je ne sais plus bien où j’avais bouffé de la merde dans un terminal de bus que j’avais vomi dans la minute. Deux amis avaient dû me foutre dans le bec un cocktail chimique dont j’ai toujours ignoré la compo mais je crois bien qu’il y avait de l’Immodium et je les soupçonne d’avoir même ajouté un ingrédient secret en la personne d’un somnifère puisque j’ai ensuite dormi comme un enfant dans le bus semi-cama où l’on jouait les trois Transporteurs à la suite, doublés en espagnol.

Les avions qui décollent, les corneilles qui n’arrêtent pas de crasser et ma chèvre qui ronfle comme un moteur de tracteur. Je songe à abattre ma chèvre rapport à sa patte cassée qui nous ralentit. Plus tôt, Jimmy avait lui aussi essayé de me faire la peau en me noyant dans l’eau croupie via un truc qui s’appelle le pani puri. Je tire une certaine satisfaction du fait de contempler mon léger déclin physique.

Grandes volées de charognards.

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Je somnole sur un transat dans une auberge du quartier musulman de Pondicherry, un lieu qui semble essentiellement dédié à la sieste. Je ne parviens pas réellement à m’endormir car les corneilles passent trop près de moi et même se posent sur la table à côté. Je ne comprends pas trop ce qu’elles branlent mais le bruit qu’elles font est dégueulasse, comme si elles se raclaient la gorge ou étaient sur le point de vomir. Je ne m’endors pas parce que j’ai peur qu’elles me prennent pour un cadavre et me picorent vivant. Imaginer leur bec malade sur mon ventre me dégoute comme peu d’autres visions.

Travail d’hypnose inefficace du ventilateur blanc sur le plafond blanc. C’est le milieu de la nuit et je ne peux plus dormir. J’imagine l’histoire d’un type qui finirait la tête tranchée par un fan ingrat qu’il a tenté d’empêcher de tomber du plafond.

Je vais à la salle de bain et remarque dans le miroir que j’ai le visage tuméfié par les piqures de moustiques, façon éléphantiasis. Le type avec qui je partage ma chambre perd peu à peu la raison et projette d’y foutre le feu à l’aide d’un briquet et d’un peu de Bétadine. Je ne suis pas sûr que cela fonctionnerait mais il s’agit du seul produit possiblement inflammable que nous avons en notre possession. Il commence à déplacer les meubles et à les démonter. Moi-même, un peu plus tôt, je m’étais imaginé descendre à la réception et foutre une grande gifle au type de l’accueil. Il ne m’avait alors rien fait mais peut-être avais-je déjà le pressentiment que la nuit serait mauvaise.

Je vois bien que le café accélère mon vieillissement. Gros dépôt sur les dents.  Je songe à faire frire mon Golden Virginia à la poële car il est trop humide. J’ai envie de me foutre dans un grand bac d’eau gelée. Si je continue à biberonner autant d’eau gazeuse je vais finir par devenir une grosse bulle.

Au petit matin, épuisé mais électrique je décide de quitter temporairement la chambre.

Des porcs radioactifs chillent sur les plages, trainant leurs portées entre les déchets. Des couples viennent s’embrasser en cachette sur de longs rochers noirs. La mer n’est pas praticable. Le matin les pêcheurs viennent y déféquer et les étrons remontent. Des chiens croquent dans des gros morceaux de bouse. Les chiens cocooneurs des plages de Goa dorment comme des bienheureux pendant que je dépéris et que je deviens jaune de l’intérieur et peut-être aussi de l’extérieur, je ne sais pas bien car le miroir est trop sale. J’ai envie de me lover contre un de ces chiens galeux, de creuser mon trou dans le sable et de me foutre en boule dedans. L’un d’entre eux hésite à m’aborder mais finalement renonce, trop timide.

Il est très difficile, en regardant droit dans les yeux des vaches d’ici, d’imaginer ce à quoi elles pensent. Certains chiens aux longues oreilles leur ressemblent beaucoup et on a même l’impression qu’ils font l’effort conscient de leur ressembler. A mon avis, ils essaient de tromper la vigilance des indiens en prétendant être eux-aussi des animaux sacrés afin d’arrêter de manger des coups de pression à chaque fois qu’ils approchent un touriste. C’est à ce moment là, je crois, que j’ai développé pour la première fois une amitié sincère pour une

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vache. Ce n’était pas la première vache pour laquelle je me prenais de sympathie mais celle-là était particulièrement noire. Surtout, elle semblait d’une sérénité inébranlable, assise en plein milieu d’une rue passante.

Je croise un inconnu qui me demande si j’ai besoin d’un endroit où me cacher. Il me répète qu’il faudrait mieux que j’aille me cacher quelque part mais je n’ai aucune idée de pourquoi.

Réveil en pleine nuit à Chennaï par ce qui semble être une cérémonie religieuse, Ganpati. Un volume sonore ahurissant de djembé, tamtam, tambour, je ne connais pas la différence. Depuis la fenêtre je vois des types qui crient et dansent autour d’un gus qui porte un drapeau et une sorte de panier sur la tête. Il danse et lance des sortes d’incantations. Quelques vaches observent le spectacle avec un certain désintérêt je crois. Dans mon demi-sommeil, tout ça me semble presque impossible à une telle heure si ce n’était le bruit à peu prêt insupportable, je pourrais croire que j’ai rêvé.

J’ai des vertiges qui me donnent l’impression que mon cerveau ballote librement dans mon crane, accroché à rien, sans gravité, comme l’on s’imagine un cosmonaute dans une fusée. Il va d’un bord à l’autre sous l’effet de je ne sais pas trop quoi. Mes connaissances extrêmement limitées en médecine y compris de ma propre anatomie font que je suis toujours désarçonné face à toute manifestation physique nouvelle, inconnue. Ici, par exemple, je n’ai aucune idée du médicament que je dois prendre pour que ma tête cesse de tourner. Je ne l’ai d’ailleurs probablement pas dans mes affaires. A l’époque de mes vertiges ophtalmiques, je bouffais du Tanganyl. Mais est-ce que ce produit existe toujours ? Et ces vertiges là semblent avoir une origine différente. Par moments, ma tête tourne dès que je tire sur une cigarette mais je ne m’y arrête pas trop car je n’ai pas trop envie d’y penser et aussi je ne vois pas trop comment cela s’expliquerait. Je crois que je bois trop de chaï.

Farandole des culs de jatte et autres têtes cramées dans le train couchette. Toute une ménagerie d’anatomies fantasques. Longue sieste dans l’entrée, à côté des portes du train. Peut-être un des meilleurs moments de sommeil de ma vie. Des gens passent, me bousculent, s’assoient sur mes pieds, gueulent de partout mais rien ne me réveille vraiment même si je change souvent de position. J’imagine qu’on me déplace, que quelqu’un m’emporte mais cela ne me cause aucune angoisse. Je m’endors enfin devant le défilé des paysages tropicaux splendides.