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D’après ce que m’a raconté Fernando, la veille du jour de son départ de Santiago, dont personne ne savait qu’il serait le jour de son départ, Amos avait passé la journée entière à prier. Les fidèles s’étaient succédés dans une des cinq églises du pourtant petit barrio Brasil mais Amos, lui, était resté assis sur un banc de messe de dix heures du matin jusqu’à huit heure du soir. On rapporte qu’il prenait évidemment des pauses, toutes les heures environ, durant lesquelles il fumait deux cigarettes à la suite puis retournait s’asseoir à l’intérieur. Le plus étonnant, dit-on c’est qu’il priait à haute voix, dans un espagnol chilien qu’il maîtrisait désormais presque parfaitement, et c’est ainsi que, mettant bout-à-bout les témoignages de différents fidèles du quartier, l’on a pu déduire qu’il avait entrepris de prier pour toutes les personnes qu’il avait rencontré au Chili, non seulement ses amis mais aussi pour toute personne qu’il aurait ne serait-ce que croisé et dont il gardait un souvenir. Il avait d’abord bien sûr prié pour Coco, son propriétaire et son meilleur ami au Chili qui lui avait dit dès les premiers jours qu’il voyait en lui quelque chose de noble et qui, très vite, l’avait traité comme son frère. Au bout de quelques semaines, il l’avait introduit dans sa famille.
Amos avait prié pour ces nombreux cousins et cousines qui venaient régulièrement tomar once à la maison ou préparer des chorillanas capables de nourrir la quinzaine de ventres qui y vivait. Il avait prié pour eux même s’il ne se rappelait pas leurs noms. Il avait prié pour cette tante lesbienne, déjà une vieille dame mais qui n’avait pas d’autre choix que de continuer à se cacher car si elle était méprisée par les classes aisées de Santiago, elle pouvait causer de réels ennuis dans les milieux populaires qu’elle fréquentait. Cette tante qui tenait une échoppe de poisson au mercado central de Santiago, l’endroit le plus grouillant de la ville et aussi le préféré d’Amos même s’il avait dû un jour y partir à la poursuite d’un jeune choro pour sauver l’appareil photo d’une amie volé à la tire, renversant les étales, bousculant les commerçants, souvent pris de vitesse par le gamin qui connaissait mieux que lui les recoins du marché mais le coinçant finalement dans un cul-de-sac et récupérant l’appareil au prix d’une bonne droite qu’il eut presque de la peine à asséner tant le garçon lui sembla jeune. C’est dans cette échoppe qu’il avait l’habitude d’aller manger tous les dimanches midi, bravant avec détermination sa gueule de bois hebdomadaire car il savait qu’il y trouverait le meilleur remède : un ceviche très piquant, à la limite de ce qu’il était capable de supporter, mais dont il savait qu’il constituait un remède efficace pour le remettre sur pied et qui, arrosé de Coca très frais devenait plus digeste.
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Il avait prié pour la mère de Coco, Nancy, une femme discrète le jour, parfois exubérante et pathétique une fois la nuit tombée sous l’effet d’un mauvais Pisco qu’elle savait déclencheur de ses démons mais qu’elle ne parvenait pas à abandonner définitivement. Atteinte d’un alcoolisme irrégulier : aux épisodes d’abstinences, tristes mais lucides et sans doute tristes parce que lucides, où on la voyait peu, suivaient des périodes qui faisaient peine à voir où elle s’allumait tous les soirs en compagnie de jeunes très jeunes, deux fois, trois fois plus jeunes qu’elle et dont la relation nonchalante à la boisson contrastait cruellement avec la gravité de chacun de ses levers de coude à elle. On la voyait s’assombrir au fil de la soirée, danser de plus en plus brusquement, avec quelque chose de rageur dans les mouvements de hanche. Alors elle commençait à parler seul, à se tromper de discours ou d’interlocuteur, à tituber puis elle s’effondrait souvent dans le canapé décharné du patio où elle passait de nombreuses minutes à invectiver la nuit. Il n’était pas rare qu’on doive la porter jusqu’à son lit.
Un soir de fête à la maison, Amos avait dû la séparer de sa fille alors qu’elles s’étaient enfermées dans une chambre pour se battre et les deux en étaient sorties à moitié à poil avec les cheveux hirsutes, les joues marquées et des traces rouges aux bras. Le lendemain elles avaient longtemps pleuré dans les bras l’une de l’autre.
Amos et elle se parlaient finalement assez peu mais elle éprouvait pour lui une tendresse naturelle et il n’était pas rare que, très tôt le matin, elle se lève uniquement pour lui préparer le petit-déjeuner avec qu’il ne parte à l’université. Une femme pour qui Amos avait une profonde estime, qui avait élevé ses enfants seuls ; comme beaucoup d’autres femmes d’Amérique du Sud si l’on en croit Octavio Paz et il suffit d’y avoir mis le pied pour le prendre au mot car ici « père » est un mot qu’on prononce peu et si on le prononce c’est à voix-basse de peur de s’attirer les jalousies d’un continent d’orphelins. La désertion des pères est une malédiction atavique à tel point que l’homme le moins lâche est peut-être celui qui a le courage de regarder sa lâcheté dans les yeux et d’en prendre son parti en refusant de faire des enfants. Non seulement Nancy avait élevé ses enfants seuls mais elle les avait sorti de la pauvreté, délivré de ce bourbier de Puente Alto où ils étaient nés et où personne ne met les pieds à moins d’y vivre. Un jour et pour une raison qui resta inconnue à Amos, on avait dû l’interner. Elle ne resta qu’une semaine sous surveillance psychiatrique mais ce fut le même jour qu’on interna Catalina, l’ancienne petite amie de Coco et ça Amos su pourquoi et il pria pour elle aussi. Il pria pour cette jeune femme qu’il n’avait jamais rencontrée et dont on lui raconta les terrifiants accès de folie, folie que l’on nomma en l’occurrence schizophrénie. Le soir où des tiers la firent enfermer, son colocataire avait retrouvé leur appartement dans un désordre tel qu’absolument aucun objet n’était à sa place initiale. Elle avait passé la journée à changer les meubles de place. La porte d’entrée avait été retirée de ses gonds et remplacée par le frigidaire, que l’on devait pousser pour pénétrer dans l’appartement. L’entrée était tapissée d’assiettes et de couverts si bien qu’on ne pouvait faire autrement que de se déplacer dans un vacarme de vaisselle s’entrechoquant. Le four était dans la baignoire, le grille-pain dans le lavabo et une fenêtre arrachée faisait office de cuvette pour les toilettes. La dizaine de miroirs autrefois éparpillés dans les différentes pièces de l’appartement avait été regroupée dans la plus petite des chambres, formant une pièce exigüe et absolument oppressante où l’on n’avait d’autre choix que de se dévisager sous toutes les coutures. Les cadres aux murs du salon avaient été remplacés, avec un bon goût insoupçonné, par des ribambelles de cintres.
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Sa chambre à lui avait été transformée en immense dressing où était entreposée l’intégralité des vêtements de la maison, masquant les murs, bouchant la fenêtre et où l’on marchait sur un amas de chaussures qui, rassemblées, dégageaient une odeur de dahu. Quant à la chambre de son frère, qui vivait avec eux, peut-être mue par une rancune dont personne ne savait rien, Catalina en avait fait un dépôt d’ordures. Elle y avait jeté non seulement leurs propres ordures mais, à en juger par la quantité colossale de sacs poubelles stockés dans la chambre, il était évident qu’elle avait vidé le local a poubelle de l’immeuble pour le transférer ici. Le clou du spectacle fut pour le colocataire de retrouver Catalina sur son lit, entourée de tout ce que la maison comptait d’halogènes, de lampadaires, de lampes de chevet, de bougies, de lampions, de guirlandes électriques de Nöel et même de lampes torches et de lampes frontales trouvées dans les affaires de randonnée. Le tout dégageant une lumière d’une violence tout bonnement insupportable pour un œil nu. Le colocataire avait dû enfiler des lunettes de soleil pour y voir quelque chose et cette chose fut Catalina, assise en tailleur, un bandana sur les yeux, dans une position méditative.
Il avait prié pour Claudia, la sœur cadette de Coco qui avait, elle-aussi, succombé à une forme d’attraction pour Amos qui semblait inévitable dans cette famille, presque un envoutement. Après avoir vécu quelques semaines sous le même toit, ils s’étaient véritablement rencontrés lors d’une soirée passée à deux dans un karaoké où ils s’étaient fait vite jeter de la scène pour avoir chanté trop mal et ruiné le classique de Wham, wake me up before you go go, et ce malgré de maîtres mouvements de bassin inspirés voire copiés sur George Michael lui-même. A la suite d’une rangée de shooters, un mélange de mauvaise vodka et de sirop de caramel périmé, bue coudes sur le comptoir et en croisant leurs avant-bras, ils avaient dû sortir du bar avec précipitation pour vomir tous les deux au pied du même arbre. Une fois l’écœurement passé, ils s’étaient relevé, s’étaient regardé dans les yeux, avaient éclaté de rire, puis les rires s’estompant peu à peu, ils avaient continué à se fixer et enfin, sans prendre la peine de se débarbouiller, s’étaient embrassés comme des adolescents, trop saouls pour réaliser ce qu’il y avait de dégueulasse à mêler leurs gerbes. Claudia avait à peine vingt ans et passait ses journées à peindre en chantonnant des ballades insipides et en fumant des joints trop forts pour elle, sans conscience aucune de son talent, considérant ses toiles comme de simples objets de décoration pour les chambres de la grande maison. C’était aussi une écorchée vive. Elle se vexait pour un rien et ces vexations entrainaient souvent des fugues de plusieurs jours, bien qu’à son âge le mot soit bien sûr galvaudé. Lorsqu’elle rentrait enfin, elle ne disait jamais rien des lieux où elle avait logé ni sur ses activités mais les jours qui suivaient son retour elle était comme plus douce et plus docile, se proposant d’aider à tout type de tâches et cherchant plus généralement à regagner l’affection de tous par des attentions maladroites.
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Ils avaient vécu une courte histoire à laquelle Amos avait vite coupé court quand il avait commencé à soupçonner qu’elle voulait qu’il lui fasse un enfant, avec ou sans son accord. Il n’avait d’abord pas prêté foi aux rumeurs lancées par son ami allemand qui racontait qu’un soir d’ivresse elle lui avait confié qu’elle ferait tout pour être mère très jeune et qu’elle comptait bien élever son enfant seul comme l’avait fait sa propre mère.
Mais un soir que, refusant de le laisser enfiler un préservatif, elle l’avait plaqué sur le lit avec brutalité et avait enfourché son sexe, ne l’écoutant pas quand il lui demanda d’arrêter ses mouvements de bassin et le contraignant finalement à la projeter violemment au sol, il avait dû se rendre à l’évidence.
Plus que pour n’importe qui d’autre, il avait prié pour Coco. Coco, pour qui, dès son arrivée, il avait éprouvé une sympathie amusée en même temps que beaucoup d’estime pour son caractère parfois excessivement sanguin comme ce jour où, vexé d’avoir été jeté de la fête d’une amie car trop imbibé et devenu plus collants que les sols, il s’était saisi d’une pelle et, dans un accès de fureur, avait éclaté une grosse dizaine de vitre dans sa maison. Il avait fallu quatre homme pour le sortir et quand il était rentré chez lui, à quelques cuadras de là, il s’était dirigé tout droit vers sa table de chevet et avait retiré du tiroir un 9mm parabellum, l’avait maladroitement brandi au-dessus de sa tête puis avait tiré en l’air. Il s’était ensuite dirigé vers la rue, avec l’intention de retourner chez son amie, et le drame n’avait été évité que grâce au sang-froid d’un colocataire équatorien qui, déboulant par derrière l’avait plaqué au sol avec détermination, faisant voler l’arme dans un coin où Amos avait pu s’en saisir et la décharger. Le lendemain, honteux et effrayé de lui-même, il avait non seulement repayé toutes les vitres mais était allé les poser lui-même. Implorant un pardon qu’il n’espérait pas, il avait même ajouté un chèque de 300 000 pesos qui aiderait, si on voulait bien l’utiliser ainsi, à terminer quelques travaux sur le toit.
Coco qui prenait plaisir à enseigner à Amos un argot bien vulgaire puis à l’observer ensuite tenter gauchement de s’en servir auprès des petites frappes du quartier ou bien, volontairement malicieux, d’employer les modismos les plus grossiers dans le but de choquer les jeunes chiliennes très catholiques des quartiers riches quand parfois ils y étaient invités, là-bas, tout en haut des collines, aux extrémités de la ville.
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Coco qui était devenu « hermano de leche » avec Cesar à l’occasion d’une double pénétration pratiquée en milieu sauvage, dans une tente, sur les jolies plages de Tunquen.
Il avait prié pour Maximiliano qui lui avait concocté la plus belle surprise de son passage à Santiago. Le soir de son anniversaire, alors qu’il se fatiguait à plier les genoux jusqu’au sol dans une boite de reggaeton, Maxi l’avait appelé et lui avait ordonné de monter dans un taxi et de le rejoindre à une adresse précise. Abruti par la musique qu’il avait toujours trouvée stupide, Amos ne se fit pas prier pour déguerpir et, quelques minutes plus tard, le taxi le déposa devant un bar sombre du centre-ville historique où, d’ordinaire, tout est fermé la nuit. Il montra sa carte d’identité à un videur avenant, poussa un rideau de velours rose, descendit un escalier tapissé du même rose puis pénétra enfin dans le bar qu’il reconnut vite être un club de strip-tease. Sur une petite estrade, dansait entièrement nue une grande blonde au visage glabre et aux courbes d’autant plus hallucinantes qu’elles semblaient naturelles. Si elle était chilienne, Amos n’en avait pas vu de comme ça avant elle. Face à la fille, un parterre de quadragénaires, tirant pour certains facilement sur la cinquantaine, essentiellement des hommes par groupes de trois ou quatre avec des bonnes gueules de ronds de cuir, l’observaient sans lubricité, l’observaient même à peine, plus concentrés sur des discussions à voix-basse que l’on imaginait traiter d’affaires juteuses que sur cette beauté dont, pourtant, on n’en voit rarement de telles dans les club de strip-tease. Le volume de la musique était étonnamment faible mais l’on pouvait reconnaître des airs d’une sorte de pop américaine un peu naïve devant dater des années 1950. Après avoir rapidement dévisagé l’audience, Amos reconnut ses trois amis assis à une petite table ronde au premier rang, juste en dessous de la scène. Il les prit un par un dans ses bras puis ils se mirent à parler de sujets sans importance. Au bout d’un moment, Maxi se leva pour aller commander quatre whisky-coca. Il revint avec les verres mais Amos ne fit pas attention à lui, trop captivé par la dance de la blonde à qui un homme en complet bleu pailleté vint glisser un mot à l’oreille. Elle continua à danser et Amos à la fixer et il eut comme l’impression qu’elle aussi le regardait, oui, elle soutenait son regard.
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Il rougit, incrédule, comment une fille aussi belle, une professionnelle qui plus est, pouvait-elle s’intéresser à lui si évidemment. Il se voyait déjà aller lui parler à la fin de son show, lui proposer d’aller boire un verre et s’il parvenait à la ramener chez lui, ce serait la plus jolie fille avec qui il aurait jamais couché. Puis la musique changea du tout au tout et Amos reconnut les premières notes de « ciega sordomuda » de Shakira. Alors la fille descendit du podium, s’avança vers lui et tandis que Shakira chantait « Aunque me levante volvere a caer », elle le chevaucha, toujours nue, et Amos comprit que Maximiliano n’était pas seulement allé commander du whisky. S’en suivit un lap-dace tout bonnement obscène où elle frotta ses fesses très fort contre son sexe puis contre son visage devant un public désormais très intéressé par le spectacle ; certains railleurs de voir ce gamin devenir si rouge, d’autres, ceux qui étaient assis seuls, n’ayant pas tardé à se passer la main dans le slip. La fille se retourna, agrippa la nuque d’Amos et enfonça son visage entre ses seins si longtemps qu’elle failli l’étouffer. Quand elle relâcha l’étreinte, il était à bout de souffle, complètement écarlate maintenant. Le coup de grâce fut porté dans la foulée. Elle monta sur la chaise de face et au milieu des rires de ses amis hilares, plaqua sa chatte contre le nez d’Amos en lui agrippant les cheveux et en continuant à se déhancher. Une fois la musique terminée, elle redescendit de la chaise, lui attrapa le menton, l’embrassa sur la bouche et tout le monde applaudît. Amos paraissait soulagé que le supplice prenne fin. Ce n’était pas d’être la victime d’un lap-dance non sollicité qui le dérangeait. Il en avait vu d’autres et de bien plus grosses. Ce qui le mettait mal à l’aise c’était d’être au centre de l’attention dans un silence quasi-total alors que les strip tease qu’il avait connu jusqu’alors se déroulaient dans la semi-intimité d’une alcôve au fond d’un club où l’on ne s’entendait par ailleurs pas parler. Les quatre amis quittèrent le club et Amos reçut plusieurs tapes dans le dos et autant de mains vinrent amicalement le décoiffer. Maximiliano était surexcité et proposa assez spontanément d’aller aux putes. Ce fut le jour où Amos découvrit que le centre-ville de Santiago abritait encore de nombreux bordels mais qui n’avaient pas le charme qu’il prêtait aux bordels d’antan sans bien savoir pourquoi. Amos suivit surtout pour ne pas contrarier, pensant pouvoir se débiner au dernier moment. Maxi les emmena dans un immeuble lugubre et après avoir marché dans un dédale de couloirs mal éclairés, ils se retrouvèrent devant une porte où une vieille dame aux traits indiens montait la garde. Maxi lui fit part du motif de leur présence et elle les fit entrer dans une pièce étroite et sombre, les installa sur un long canapé marron en cuir craquelé, face à un rideau rouge. L’euphorie était déjà retombée depuis un moment mais quand la vieille indienne tira le rideau, la vision de quatre filles très laides en soutien-gorge et jupes en sky les doucha définitivement. Elles étaient non seulement très laides- nez à plusieurs étages, à moitié édentées, encore boutonneuses, balafrées sur toute la largeur de l’abdomen ou les cheveux pelés par la gale ou à force de se les faire arracher pour une raison ou une autre- mais en plus aucune ne faisait d’effort pour masquer la répugnance que leur inspirait le fait de faire la pute chauve, surtout pour se retrouver face à ces quatre trous de balles qui, ça sautait aux yeux, n’auraient même pas les couilles d’aller au bout de leur connerie. Amos et ses amis n’eurent pas besoin de se concerter et se levèrent dans un même mouvement après avoir contemplé sans doute plus longtemps qu’il n’est décent la laideur de ces femmes. Sur le chemin du retour il n’y avait plus grand-chose de quoi rire et ils ne se détendirent qu’à la faveur d’une halte chez un marchand de completos ouvert toute la nuit.
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Il avait prié Fenia dit « pichula de oro » car sexuellement extrêmement prolifique, d’un rendement presque ahurissant. Physiquement il ne valait ni mieux ni moins bien qu’un autre mais il se démarquait par une endurance à toute épreuve. Il ne se démobilisait jamais lorsque la chasse n’était pas immédiatement fructueuse et était toujours parmi les derniers debout, s’empêchant de boire avec excès pour rester lucide au moment où il faudrait clore l’affaire, grattant, s’il n’y avait plus que ça à prendre, les derniers bouts de fesses épuisés par l’alcool, consentantes mais pas toujours très conscientes, cédant sans grande lutte à la langueur de sa voix et à la justesse de ses pas de danse.
Il avait prié pour Shane, ancien streaker irlandais à la retraite, surnommé « tetas de vaca » parce que la graisse lui faisait un torse de femme. Un type bon et prévenant, toujours prêt à rendre service mais aussi notoirement exhibitionniste malgré ce qu’on pourrait appeler « un corps de lâche », profondément grossier- s’exprimant dans un chilien incompréhensible dont il ne prononçait correctement que les termes les plus insultants-, et probablement fou pas uniquement parce qu’il aimait montrer son sexe à des inconnus dans des lieux publics mais aussi pour cette scène à laquelle Amos avait assisté et où Shane s’était mis à uriner au milieu d’un bar plein à craquer, d’abord dans la girafe de bière d’un type qui venait de le bousculer puis aspergeant la table entière et ses alentours dans un mouvement giratoire du bassin qui charriait à lui seul toute l’ironie délirante du personnage et, pour penser de manière plus pragmatique, formait une barrière mobile empêchant quiconque de s’approcher de lui pour mettre un terme à son outrage, tenant même les gens très à l’écart parce que les gouttes de pisse rebondissaient sur les coins de la table et menaçaient de vous gicler sur les mains.
Il avait prié pour Juan Pablo, un jeune homosexuel colombien et pour son ami Juan David, un homosexuel tout aussi jeune et tout aussi colombien. Arrivés à Santiago sans trop d’argent, ils avaient été recueillis par Coco qui les autorisait à vivre chez lui sans payer le loyer à condition de se charger des tâches ménagères. Il avait prié pour eux même si à l’époque il venait d’apprendre qu’à la suite d’une dispute, ils étaient partis de la maison sans dire où ils allaient et en emportant la télévision et le lecteur dvd pendant la nuit.
Il avait prié pour Valeska une chilienne mondaine et ingénue qui l’insupportait autant qu’elle l’attendrissait. Elle l’attendrissait lorsque, inconsciente de sa propre impudeur, elle postait sur les réseaux sociaux des messages publics pour révéler à tous ses contacts qu’à trente ans elle venait enfin d’avoir ses premières règles et que pour la première fois de sa vie elle se sentait pleinement femme. Elle le hérissait parce qu’elle organisait toutes les semaines de stupides after-works pour étrangers et tous les mois d’encore plus stupides soirées non-fumeurs dans une ville où l’on avait encore le droit de cloper dans les bars, luxe à sa connaissance en voie de disparition à peu près partout dans le monde. Il fustigeait alors son hygiénisme avec toute la mauvaise foi d’un type fumant comme une locomotive et ayant pris l’habitude de ne plus se geler les miches sur les terrasses de bar en hiver.
Il avait prié pour Diego, Julio et Pancho, les trois gros cochons qui en réalité n’étaient pas gros du tout, étaient même pour tout dire assez frêles et dont le style de baby-rockers façon The Kooks avec leurs grosses mèches, leurs slims noirs, leurs vestes en cuir courtes et leurs bottines fines rajoutait à cette impression de maigreur. Ce genre d’accoutrement passé depuis de mode en France depuis plusieurs années faisait fureur ici auprès de minettes en quête d’un encanaillement à peu de frais, et Amos n’avait jamais trop compris pourquoi. Les trois garçons étaient fascinés par l’élégance naturelle d’Amos autant que par son humour reposant sur des changements de tons alternant raffinement et indécence. Ils en avaient rapidement fait leur mascotte, l’avaient renommé Dios et s’amusaient, en soirée, à jouer pour lui le rôle de wingmen très lourds en le présentant comme un être surhumain par le biais de blagues peu inventives dans le même genre que celles qui avaient éclos à l’époque autour de la figure de Chuck Norris.
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Il avait prié pour cette française aux seins énormes avec qui il avait, un soir qu’il n’espérait rien, frotté le lard. Elle avait attendu que tout le monde soit couché pour le rejoindre par surprise dans son lit et lui avait même pour ainsi dire secoué la couenne jusqu’à la sécher. Il avait prié pour elle et plus précisément pour ses seins, les plus gros qu’il lui ait été donné de voir, des seins qui le mettaient presque mal à l’aise, dont il ne savait comment se servir et qui n’avaient certainement rien à faire sur ce corps par ailleurs svelte. Il en avait ensuite rêvé à plusieurs reprises. Sans cesse le même rêve où il était juge dans une sorte de foire animalière et qu’il pesait sur une balance à fléau ces deux masses de chair lourdes et meubles, retranchés pour l’occasion de leur tronc. Il les pesait et le repesait mais jamais la balance n’atteignait d’équilibre penchant tantôt d’un côté tantôt de l’autre. Il finissait toujours par s’énerver, par jeter la balance dans un grand sac poubelle et avec elles les seins maudits. Puis il déposait le sac dans une benne à ordure, vidait le tout dans un camion poubelle et prenait le contrôle du véhicule. Il roulait ensuite longtemps au volant du camion en crachant régulièrement par la fenêtre, passait sans s’arrêter devant un centre de tri, roulait encore, crachait de plus belle et atteignait enfin un immense incinérateur, situé étrangement au milieu d’une montagne en plein désert. Il y déversait le contenu du sac avec rage et regardait les seins bruler jusqu’au dernier morceau de chair puis, soulagé, reprenait la route en sens inverse, retournait à la foire et reprenait son activité de peseur de seins. Cette fois tous les seins qu’on lui apportait trouvaient leur équilibre et il pouvait reprendre paisiblement le cours de sa nuit.
Mais il avait aussi prié pour les dealeurs péruviens dont les parents tenaient un restau pas très loin de l’Eglise et qui ne savaient rien de leurs petits trafics, dont la mère concoctait des sauces piquantes délicieuses dans lesquelles il trempait du pain bien blanc et qui faisaient miraculeusement disparaitre ses gueules de bois du dimanche matin, la mère qui ne savait pas que la veille il était parfois avec ses fils, celui avec des dreads ou celui au crâne rasé en train de se foutre les narines en l’air à coups de gros cristaux de blanche. Le père lui servait, quand il n’était pas trop nauséeux, des lampées de pisco péruvien en fin de repas pour lui prouver qu’il fallait vraiment qu’il arrête d’acheter les merdes qu’on vend chez Santa Isabel.
Il avait prié pour leur ami colombien qui s’était pris du plomb dans le bide lors d’un drive-by shooting qu’il aurait cru impossible dans ce quartier remuant mais pas vraiment dangereux, juste en face du restaurant, à la sortie d’un bar très sombre où il n’avait jamais osé entrer mais dont il avait beaucoup rêvé la nuit. Le type, qu’on surnommait Flaco et qui effectivement semblait se nourrir peu s’en était tiré avec une longue cicatrice à l’abdomen qu’il étrennait comme une marque d’invincibilité.
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Il avait prié pour les gosses qui avaient essayé de l’agresser un jour à la sortie d’un concert, sur la place Brasil, qui voulaient lui voler son portable mais qui n’avaient finalement pas l’air si déterminés puisqu’à dix ils l’avaient laissé partir quand Claudia l’avait pris par la main pour le ramener à la maison alors que, trop saoul, il était prêt à en découdre quitte à rentrer chez lui avec moins d’os qu’il n’en faut pour tenir debout. Tellement saoul et rageux, même, qu’il était ressorti dix minutes plus tard avec un couteau de cuisine dans une main et un tournevis dans l’autre sans savoir trop pourquoi. Il avait mis un coup de coude à Claudia qui le retenait par l’épaule pour l’empêcher d’aller se faire planter et quand il était revenu sur la place il n’y avait plus que quelques clochards endormis sur des toboggans pour enfants ou des tables de ping-pong en pierre.
Il avait prié pour cet inconnu qu’il avait giflé un jour dans un bar parce qu’il avait mordu dans son sandwich à la dinde alors qu’Amos était affamé et de mauvaise humeur. On les avait maintenu à distance l’un de l’autre toute la soirée mais Amos n’avait cessé de le provoquer le pointant du doigt tandis qu’il mimait des fellations puis en le fixant, les coudes bien enfoncé sur la table pour maintenir une position de double doigt d’honneur, pendant bien dix minutes jusqu’à ce qu’il se décide à libérer un de ses bras le temps d’avaler la fin de sa bière et de jeter le verre vide à la gueule de l’inconnu qui ne le vit pas arriver et fut entaillé au front. Sorti de force du bar, Amos continua à marmonner des insultes en espagnol, à envoyer des chassés dans les poubelles, à cracher sur les pare-brise des voitures, à mettre des coups de pression aux chiens dont il se méfiait d’habitude, à soutenir le regard des passants, mâchoire et poings serrés.
Il avait prié pour cet autre inconnu croisé à plusieurs reprises dans le quartier et pour tout dire assez fréquemment. Ce vieux monsieur très maigre et vraiment très grand, presque deux mètres à vue de nez même si Amos n’avait jamais été très bon pour deviner la taille des gens, et qui trainait un bouc en laisse de bar en bar. Un homme aux cheveux blancs, long et trop épais pour être coiffés. Un homme qui n’avait pas vraiment l’air d’un clochard mais qui quand même sentait souvent l’alcool et le bouc aussi sentait souvent l’alcool et il se racontait que l’homme commandait toujours deux verres au bar, un pour lui et un pour le bouc. Mais à cela Amos n’assista jamais en personne et ne fit pas trop cas de la rumeur même si certains semblaient en savoir assez pour être capables de préciser que l’homme commandait toujours une bière blanche et pour son bouc un whisky.
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Il avait prié pour Alvaro, l’un de ses colocataires, qui se baladait en permanence avec un sabre en bois à la taille, puis pour l’autre Alvaro qui n’aimait vraiment que les allemandes. Alvaro dont il pouvait dire qu’il était un ami mais qui, sans qu’il ne comprenne vraiment pourquoi, le mettait mal à l’aise lorsqu’ils se retrouvaient en tête à tête. Et s’ils n’étaient pas réellement amis, c’était en tout cas le terme qu’ils utilisaient pour parler l’un de l’autre. Malgré cela et ce terme fort, ils avaient beaucoup de mal à se regarder dans les yeux, ce qui n’est jamais bon signe et même parfois on les sentait se forcer et tenir le regard l’un de l’autre pour se prouver leur complicité, ce qui est plus mauvais signe encore.
Il avait prié pour un allemand très blagueur puis pour un autre allemand plus taciturne, pour un portugais lui véritablement dépressif qu’au fil des semaines l’on vit de moins en moins sortir de sa chambre. Il avait prié pour un chilien qui ne sortait pas non plus de sa chambre mais lui pour une autre raison, parce qu’il n’aimait vraiment personne dans la maison. Et s’il faisait parfois des efforts de politesse, on ne le voyait jamais aux repas collectifs, on ne le voyait jamais aux parties de basket improvisées ni aux fêtes prévues, on ne le voyait jamais aux concerts de cumbia ni aux concerts de rock et l’on comprit vite qu’il préférait la compagnie de ses plantations de beuh à celle de ses colocataires. Sans lui en tenir sérieusement rigueur, une certaine froideur légitime était née à son égard.
Il avait prié pour Mayerlinne qu’il avait d’abord trouvé très belle puis qui comme beaucoup d’autres avant elle avait grossi et dont la graisse nouvelle avait, aurait-on dit, aigri la bonne humeur naturelle. Elle avait désormais du mal à porter des fesses trop lourdes pour sa taille.
Il avait prié pour cette américaine de passage, californienne pure souche dans la veine jeunesse insouciante, rapport facile à son corps et rejet catégorique de tout questionnement existentiel un peu troublant dont lui avait soupé durant son adolescence et sans doute plus encore depuis qu’elle était révolue. Elle lui avait d’abord paru inaccessible et même vexante quand, saoule, elle lui avait dit qu’il aurait pu être son petit frère. Puis le lendemain, c’était elle qui était venue le tirer du lit et elle l’avait presque forcé à l’accompagner camper avec quelques amis dans les collines à la sortie sud de la ville. Ils avaient traversé en pick up des quartiers d’une pauvreté qu’on ne peut pas imaginer en vivant dans le centre et où les chiens, les plus répugnants qu’il lui ait été donné de voir, semblaient avoir pris irréversiblement le contrôle des lieux. Ils avaient marché la journée puisque c’était pour cela qu’ils étaient venus mais de cette marche, Amos ne se souvenait presque pas, même si les paysages visités doivent avoir été très beaux. Il se souvenait à peine avoir bavardé distraitement avec cette californienne qui devait s’appeler Samatha car c’est un nom qu’il répéta souvent à l’église au cours de sa prière. Ils avaient parlé uniquement parce qu’ils marchaient l’un à côté de l’autre et Amos gardait à ce moment une certaine vexation en raison de ces mots durs entendus la veille. Il se souvenait en revanche très bien du feu auprès duquel ils s’étaient serrés à la nuit tombée, tous les six. Ils étaient accompagnés de deux couples. Ils avaient à peine mangé et comme il faisait très froid là-haut, s’étaient allumés bordéliquement au rhum brun. Ils avaient partagé des anecdotes comiques et les frémissements de leurs corps gelés avaient peu à peu laissé place à une autre forme de convulsions, celles provoqués par des rires sincères. Je crois que l’on peut dire que cette nuit-là ils étaient à peu près tous devenus amis même s’ils ne savaient finalement à peu près rien les uns des autres. S’il avait prié pour Samantha et même tant prié pour Samatha c’est qu’elle avait représenté pour lui une épiphanie. Quand tout le monde fut cuit, rôti et presque fricassé pour certains, ils allèrent se coucher dans la même tente et bien qu’ils ne se soient pas spécialement cherchés durant la soirée, le reste fut immédiatement très clair et ils n’eurent pas à perdre de temps en frivolités liminaires.
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Il avait prié pour César, menteur patenté, à qui il était arrivé plusieurs fois de se faufiler dans le lit de jeunes étrangères endormies et qui aurait peut-être dû être emprisonné pour ça même s’il semble qu’il ne les avait jamais touchées. César qui rêvait sans cesse de filles jeunes mais finissait toujours avec des femmes plus âgées que lui.
Il avait prié pour Nelson et Vicente, le duo d’anciens qui passaient leurs journées sur le trottoir d’en face de chez lui ; l’un grattant quelques billets en fournissant une aide inutile à quiconque souhaitait se garer dans la rue, l’autre réparant des meubles en bois en sifflotant des airs de cueca qui rappelaient à Amos de vieux films chiliens qu’il lui semblait absurde d’avoir vus, dont il se demandait en même comment il avait pu, lui, en entendre parler. Surtout ce film, Largo Viaje de Patricio Kaulen qui n’a même pas de page Wikipédia en français mais dont les images le frappent comme un déjà-vu, comme s’il les avait lui-même vécu dans une autre vie, cinquante ans ou bien cent ans plus tôt. Quelques vieux qui ne ressemblent pas aux vieux d’aujourd’hui, jouent un air de guitare redondant tandis que des femmes chantent d’une voix criarde, une chanson qui semble n’avoir qu’un refrain : « pobrecita la wawita, que del carre se callo… ». Elles dansent en agitant des mouchoirs blancs au-dessus de leurs têtes et en faisant claquer leurs talons sur le sol. Le décor est celui d’un intérieur pauvre, plein de bibelots religieux, et hommes et femmes mangent avec les mains, boivent du vin rouge à la bouteille sans soucis de ce qu’Amos s’imagine être les conventions d’une époque dont d’ailleurs il ne sait pas de laquelle il s’agit. Ils pleurent la mort d’un nouveau-né. Amos avait confié à Fernando qu’il ne comprenait pas pourquoi ces images lui étaient si familières, qu’il n’y avait pas de raison logique à cela, que depuis son arrivée en Amérique du sud ce n’était pas la première fois que des éléments inexplicables, qu’il n’oserait appeler surnaturels mais qui du moins défient la raison, faisaient irruption dans son quotidien, qu’il avait sans doute trop lu les réalistes magiques et inconsciemment associé leurs univers à la langue espagnole toute entière et était devenu plus enclin à recevoir des situations scientifiquement impossibles, mais que probablement, oui c’était surement ça, il avait dû voir ce film dans l’un de ces cours d’esthétique ennuyeux, il avait somnolé et les images du film avaient dû se mêler à des rêves, d’où cette impression d’intimité troublante…
Il avait prié pour les chiens de son quartier, pour Jo qui boitait et avait un jour failli le mordre au visage et pour Perla, à moitié aveugle, pour les deux autres aussi qui semblaient n’avoir pas de noms et pour toutes ces armées de chiens fonsdés qui se jetaient sur les roues des voitures et qui foutaient le bordel dans les rues de Santiago avec leurs yeux pochés et leurs boules dépoilés. C’était perturbant de voir à quel point les chiens avaient l’air plus débiles ici qu’en Europe. Ils foutaient des coups de crocs dans littéralement tout véhicule qui possédait des pneus en mouvement.
Il avait prié pour Olga, sa coloc mexicaine qui s’était fait braquer à sept heures du matin en sortant de chez eux pour aller à la fac par trois hommes armés de Beretta. Ils l’avaient braqué depuis les fenêtres de leur camionnette et, pas de vilains bougres, avaient finalement accepté de lui rendre son passeport avant de mettre les gaz. Olga dont la vie ressemblait de plus en plus à une telenovela et qui faisait tout pour qu’il en soit ainsi, qui se plaisait à entretenir avec les hommes des rapports stéréotypés et qui se plaisait encore plus à les raconter ensuite d’une façon stéréotypée.
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Il avait prié pour les gamins anonymes avec qui il jouait au foot de temps en temps, sur les terrains en face de l’Eglise justement. Il avait prié pour les chanteurs de cumbia qu’il allait voir jouer dans la petite salle de quartier presque un week-end sur deux, pour celui qui portait une chemise rose et arborait une horrible coupe mulet et l’autre qui mettait la même veste dorée à tous les concerts. Pour les lycéens qui foutaient ses courses dans des sacs plastiques au supermarché alors qu’il n’en avait pas besoin, pour le fromager du supermarché qui, pensait Amos, n’avait jamais vu un vrai fromage de sa vie le pauvre, pour les épiciers qui se divisaient les tâches à cinq dans une boutique qui pouvait à peine les accueillir tous et où les clients se bousculaient en permanence, pour le vendeur de barros luco qui restait ouvert jusqu’à très tard dans la nuit et qu’il soupçonnait d’être le responsable de la rondeur de ses bajoues, pour son professeur de philosophie moderne, un peu vieux-jeu, qui lui avait mis en tête sans qu’Amos ne comprenne vraiment ce que cela signifiait, qu’il était important de vivre une existence verticale et non horizontale comme nous en avons pris l’habitude aujourd’hui, qu’en quelque sorte, il était essentiel de savoir hiérarchiser nos expériences, pour le vendeur de tabac d’une des galeries du centre-ville qui était son seul pourvoyeur connu de quoique ce soit d’agréable à fumer et qui faisait payer cher ce monopole. Les jours où il était vraiment fauché, Amos achetait des paquets de vingt-cinq de Boots et une bouteille d’un litre et demi d’un whisky presque gratuit. C’était comme fumer un cancer et boire un cancer en même temps.
Et durant cette absurde prière qui ressemblait plus à un inventaire où il ne demandait rien, les fidèles se succédèrent toute la journée sur les bancs de messe, sans paraître gênés par cette interminable divagation de plus en plus bruyante. Il fut très vite évident qu’il ne s’agissait pas tant d’une prière -personne d’ailleurs n’avait jusque-là entendu de sa bouche rien qui puisse laisser soupçonner une quelconque foi- que d’une étrange forme de transmission orale. Une manière en somme de s’assurer que si ces quelques mois un peu trop pleins venaient à lui échapper, d’autres s’en souviendraient pour lui ou plutôt s’en souviendraient pour d’autres encore, pour moi par exemple.